A propos de la laïcité, le Président de la République introduisait les travaux de la Commission Stasi (2003) en ces termes : "il n’y a pas en France de règle supérieure aux lois de la République. On ne peut accepter que l’affirmation d’appartenance ethnique ou religieuse soit érigée en acte politique". Et il poursuivait : "la laïcité, c’est l’égalité, la fraternité, la liberté d’expression, la liberté de croire ou de ne pas croire. C’est l’égalité des citoyens sans distinction de religion ; c’est enfin la volonté de vivre ensemble dans une collectivité dépassant tous les communautarismes".
Ces quelques lignes définissent l’essentiel des principes éthiques de la pensée laïque telle que la lente maturation des idées sociales l’a dégagée depuis la Révolution française, fondatrice des droits de l’Homme et du citoyen.
Pour l’Islam de France, la laïcité représente certainement le cadre institutionnel et légal de la liberté religieuse, mais elle se définit également comme une étape essentielle dans l’évolution de la pensée humaniste conduisant à la modernité.
Laïcité et modernité apparaissent ainsi comme les données inséparables du processus d’organisation rationnelle de la vie en société, permettant à chacun de "croire ou de na pas croire" et de préserver la neutralité nécessaire de l’Etat-Nation.
Liberté de conscience, tolérance et impartialité de l’Etat sont donc les fondements du "vivre ensemble" permettant aux différentes composantes de la communauté nationale de se constituer autour du pacte laïque républicain.
Dans l’Islam, c’est au XIXème siècle que le concept de rationalité, pourtant introduit par Averroès sept siècles auparavant, fait sa réapparition dans la société ottomane avec la mise en place de réformes juridiques et sociales ouvrant l’ère dite des Tanzimat (1834).
Mais les résistances dogmatiques, tout en ménageant l’autorité temporelle de l’Etat (au moins dans le sunnisme), n’ont pas permis à l’idée de laïcité – sauf en Turquie – de rendre opérant et décisif le principe de séparation des religions et des pouvoirs nationaux dans les pays musulmans.
C’est pourquoi, la laïcité française vécue et réfléchie par de nombreux penseurs musulmans français apparaît comme un chemin rationnel et sage de la pensée humaine, où cette idée fondatrice reste à préserver.
Un siècle après la loi du 9 décembre 1905, le bilan est largement positif, car il assoit fermement la paix sociale et religieuse et renvoie aux périodes obscurantistes les conflits qui ont ensanglanté l’histoire des religions.
Le financement du culte musulman par les croyants ou par des aides appropriées de l’Etat ne peuvent modifier l’essentialité de la loi. Des aménagements sont toujours possibles. Mais il reste que le problème actuel pour les musulmans réside dans la menace que ferait peser sur la situation européenne la dérive fondamentaliste d’un Islam radical qui laisserait se profiler un choc des cultures.
Il est essentiel que la pensée religieuse actuelle de l’Islamn retrouve, à la lumière de la laïcité française, les éléments de rationalité qui la libèreront des archaïsmes infondés et des traditions erronées, et reprenne le cours normal de son essor malencontreusement arrêté depuis Averroès.
Dr. Dalil Boubakeur
Recteur de l’Institut Musulman de la Mosquée de Paris et Président du Conseil français du Culte musulman
La fondation