Archive de avril 2020
Toutes les grandes crises sont politiques. Celle du coronavirus aura, comme les autres, ses impacts politiques. Il suffit de voir l’implication des grands leaders dans le quotidien des difficultés pour mesurer qu’ils se projettent déjà dans l’avenir. Le Président Macky Sall, Président du Sénégal, disait récemment : « Aucun pays ne sortira indemne de cette crise. Une récession mondiale est inévitable ».
Les risques politiques sont évidemment liés à la montée de la violence dans toutes nos sociétés. Les tensions verbales entre les États Unis et la Chine n’annoncent rien de bon. Déjà la violence a gagné les cénacles politiques et envahi les réseaux sociaux. En France, le phénomène des gilets jaunes a montré que la protestation n’hésitait plus à franchir les lignes rouges de la violence urbaine. Toutefois, notamment à l’occasion des élections européennes et municipales, on a pu constater que le mouvement n’apparaissait pas très politiquement légitime. Cette violence a été contenue par la relative faiblesse de sa légitimité.
Il y a cependant un sujet pour lequel la violence peut apparaître à l’opinion publique comme particulièrement légitime, c’est le développement de la pauvreté et son corollaire la faim. Sans corrections politiques la vie ne peut que devenir plus difficile pour les plus fragiles. La famine provoque les émeutes les plus déstabilisatrices partout dans le monde. Les Pays dont les » filets sociaux » sont extrêmement légers sont très inquiets c’est notamment le cas des États Unis d’Amérique.
Je me souviens qu’en 2002 Jacques Chirac était particulièrement inquiet des dégâts faits dans la société par les différentes « fractures sociales ». Pour cela il avait fixé à son gouvernement la priorité de la cohésion sociale. Ainsi » Le Plan de Cohésion Sociale » élaboré, avec Jean Louis Borloo, déclinait cette priorité dans de multiples domaines, l’aide sociale, les quartiers sensibles, les revenus, les territoires, les familles, le logement, … A titre d’exemple entre 2002 et 2005 l’impôt sur le revenu a baissé de 10% (pour 17,5 millions de foyers) et le SMIC a augmenté de 15% (pour un million de salariés).
Dans les semaines à venir la lutte contre la pauvreté devra être prioritaire. Seule une action forte face à la misère pourra délégitimer la violence. Un programme d’urgence de solidarité devra intégrer des mesures sur le revenu minimal, sur le prix des produits de première nécessité, sur la nutrition des enfants, sur le logement social, sur la politique familiale, sur le soutien aux organisations caritatives, sur la santé, sur le surendettement, … Cet effort pour la solidarité ne nous dispensera pas de notre effort pour le développement, les entreprises et l’emploi.
Cette ambition politique contre la pauvreté devra aussi se mobiliser au-delà de nos frontières, au sud, en Afrique. Trois organisations multilatérales, la FAO, l’OMS et l’OMC nous ont alerté sur la menace de la pandémie de la famine sur tout le continent. Pour cela, il nous faut veiller au commerce international des produits agro-alimentaires qui est actuellement sous la pression de nombreuses restrictions. Selon le Programme Alimentaire Mondial (PAM) « le nombre de personnes souffrant sévèrement de la faim pourrait doubler en raison de la pandémie de Covid-19, atteignant alors plus de 250 millions d’ici la fin de 2020 ». Le Président du Niger, un des pays les plus pauvres du monde a réclamé un plan Marshall pour le continent. Emmanuel Macron semble avoir entendu cet appel en s’impliquant fortement dans l’initiative européenne pour l’Afrique. L’Organisation « Leaders pour La Paix » a également placé cette priorité dans son rapport annuel. Tout cela est évidemment un travail d’urgence mais c’est aussi un effort pour le moyen et long terme : chacun peut imaginer les conséquences d’une non intégration dans la société du milliard de jeunes qui peupleront l’Afrique d’ici 2050.
Jusqu’à maintenant nous pensions que le développement était un préalable à la paix sociale mais aujourd’hui il nous faut considérer la paix sociale comme un préalable au développement. La logique politique l’emportera sur la logique économique.
jpr
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En période de crise tout se crispe y compris la communication.
La peur, l’inquiétude, la nervosité, l’isolement,.. développent la brutalité sous des formes multiples, c’est aussi vrai pour la communication d’en bas, celle du public, que pour celle d’en haut, celle des dirigeants.
Cette brutalité n’est pas bon indicateur social car nous savons que la violence et la guerre sont des sœurs jumelles.
Les réseaux sociaux nous montrent la capacité de violence d’un grand nombre de citoyens. Les attaques personnelles dans les médias fleurissent encore plus vite que les fleurs des platanes sur nos avenues. Chacun a des avis sur tout. Les débats sur la recherche de la meilleure thérapie contre le Covid-19 sont aussi vifs dans l’opinion publique que dans les cercles scientifiques. L’esprit « Gilets jaunes », c’est à dire la protestation jusqu’à la violence, semble s’être en partie installé.
La communication d’en haut, c’est à dire celle des leaders, a aussi été contaminée. L’attaque personnelle, l’offense diplomatique, l’injure publique, voire la vulgarité lexicale ont envahi le champ démocratique, y compris à l’Assemblée nationale française. Il faut regarder tous les soirs le dialogue, par CNN interposée, entre le Président Trump et le Gouverneur Cuomo (NY) pour mesurer la violence sous-jacente de la politique américaine. L’émotion et la raison s’affrontent brutalement. Là bas, le tweet est davantage une rupture qu’un lien.
Cette violence prend une autre dimension avec la guerre américano-chinoise qui s’aggrave. D’abord quasiment spontanée, la violence devient instrumentalisée.
La rivalité commerciale et technologique entre les USA et La Chine, qui marquait la fin de l’année 2019, a pris des formes nouvelles, puissantes, en 2020 avec la pandémie du Covid-19. La compétition entre les deux puissances fait rage et tout est prétexte au dénigrement, aux grandes manœuvres, et à la communication de guerre.
Les États Unis s’interrogent à haute voix sur l’origine du virus, sur la vérité des statistiques chinoises, sur la relation entre la Chine et l’OMS, etc… La Chine feint de s’étonner de la relative impuissance des Américains, et de l’Ouest en général, face au virus .Elle accuse les USA d’avoir exporté le virus à l’occasion des jeux militaires de Wuhan, au début de l’hiver, et elle promeut « la publicité comparative » …Les polémiques s’en prennent même aux civilisations.
Certains pensaient que la crise mondiale rapprocherait, par nécessité, les deux grandes puissances ; il n’en est rien et, au contraire, le fossé s’agrandit et affecte, négativement, la coopération internationale, pourtant nécessaire dans cette pandémie mondiale. Au cœur de cette bataille, la communication s’efface pour laisser se déployer la propagande.
Les services de renseignements américains disent mener une enquête sur l’origine du virus en Chine, et diffusent régulièrement des communiqués offensifs. Les ambassades chinoises entrent dans la mêlée pour défendre la ligne de leurs autorités face aux critiques de la presse internationale, en recourant parfois à des arguments qui nuisent à la démonstration recherchée. Fake news, rumeurs, intox vont dans ce contexte se développer et cela risque d’être long, car la guerre commerciale est devenue une guerre systémique. Le piège de Thucydide se referme sur nous : la rivalité entre le numéro 1 et le numéro 2 va structurer durablement les relations internationales.
Dans ce contexte, que peut-on attendre d’une communication de crise utile, c’est à dire qui serve en priorité la sortie de crise :
- D’abord, l’essentiel est la sobriété de la communication institutionnelle. Cette crise est inédite, les incertitudes sont multiples, les enjeux restent tragiques, la précaution et la pédagogie s’imposent. Toute arrogance est condamnable, le temps disqualifiera les manipulateurs. En ce qui concerne La France notre sagesse gaullienne nous recommande de communiquer avec tous, avec dignité et respect.
- Ensuite, le pluralisme est la seule réponse possible à la complexité de la situation. A l’Ouest la vérité est une synthèse. Ainsi, pour cette partie du Monde, le manque de pluralisme porte atteinte à la crédibilité de la communication. Pluralisme et transparence sont liés. La propagande sera toujours suspecte. La verticalité des tweets n’est pas davantage crédible.
- Enfin, comme le dit CNN , « Facts first ». Il nous arrive parfois d’effacer les faits au profit des commentaires, c’est une erreur. Sur ce plan, les sociétés idéologiques sont plus fragiles que les sociétés pragmatiques. Encore faut-il dans cette logique faire de la vérification des faits une valeur de la communication.
Pour vivre, l’information se nourrit de faits mais aussi de témoignages c’est à dire d’opinions, souvent diverses. On rejoint ici la distinction que Max Weber a ancrée dans notre culture, éthique de conviction et éthique de responsabilité. L’éthique de responsabilité n’exclut pas la passion, la morale mais elle implique d’être responsable de ses actes, des résultats obtenus et d’agir, de façon réfléchie, en conséquence. Le leader de conviction ne partage pas les mêmes qualités. Peu importe le résultat, ce qui compte c’est de respecter, de s’aligner sur ce qu’il croit être la vérité indiscutable. La conviction extrême peut même devenir la non-éthique.
Aujourd’hui, dans cette crise la responsabilité s’efface trop souvent devant la conviction franchissant les frontières de la post-vérité ou de la post-morale. Ceux qui gouvernent, quand ils privilégient la conviction sur la responsabilité, font en fait le lit des populistes qui nient, au fond, l’éthique de responsabilité. La aussi la sagesse est équilibre.
Espérons que les leaders mondiaux comprendront qu’ils doivent rendre compatibles leur conviction (la réussite de leurs idées) avec leur responsabilité (assurer la paix du monde) et que, dans ce but, ils choisiront davantage la communication que la propagande. C’est leur intérêt. Souhaitons aussi que l’esprit critique des opinions publiques les protègera des excès de crédulité ou de manipulation …
Jpr
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Pascal Airault - L’opinion
«L’impératif de la reconquête de la souveraineté nous obligera à redéfinir plus clairement ce qui est stratégique ou pas d’un point de vue national ou européen.»
Entretien croisé avec l’ancien Premier ministre de droite et l’ex-ministre socialiste des Affaires étrangères

Jean-Pierre Raffarin et Hubert Védrine.
© Sipa Press
De sensibilités politiques différentes, et aujourd’hui retirés de la vie politique, Jean-Pierre Raffarin et Hubert Védrine continuent à éclairer les décideurs de leur réflexion sur les grands enjeux du monde. L’ancien Premier ministre de Jacques Chirac et l’ex-ministre des Affaires étrangères et secrétaire général de l’Élysée de François Mitterrand se sont confiés à l’Opinion sur les enseignements à tirer de la crise sanitaire provoquée par le coronavirus. Ils pointent du doigt notre mode de vie dans un monde globalisé et déplorent l’absence de leadership au niveau international, à l’heure où l’affrontement sino-africain et la faiblesse de l’Europe permettent difficilement de dégager des consensus. Enfin, ils appellent les différents pays de l’Union européenne à redéfinir les périmètres de souveraineté nationale et communautaire.
Comment jugez-vous la réponse globale à la pandémie ?
Jean-Pierre Raffarin : Nous vivons une pandémie mondiale dont la réponse repose sur un principe d’éradication nationale. C’est là notre plus grande faiblesse, il devrait y avoir un plan d’éradication mondial car, tant que le virus circulera sur la planète, la crise ne sera pas jugulée. Or il y a un manque de leadership international, y compris par ceux qui développent une diplomatie sanitaire. Les Chinois mesurent bien que leur système politique les isole d’une partie du monde, et donc ils se font plus discrets sur leurs grands projets internationaux tels que les Nouvelles routes de la soie. L’octroi de leur aide internationale participe au renforcement de leur propre diplomatie et véhicule un message de confiance à la population nationale. La Russie met aussi en scène son soutien quand elle envoie un avion aux États-Unis pour venir en aide au peuple américain. C’est la même chose pour Cuba et ses médecins envoyés en Lombardie. Les Etats-Unis, avec leurs services de renseignements, ont aussi une diplomatie offensive. Chacun joue ses propres cartes, à l’exception de la recherche collective du vaccin, mais sans de véritables initiatives pour mener un jeu collectif. Le monde a plus besoin de coopération que de propagande.
Hubert Védrine : Il est trop tôt pour en juger. Une évaluation systématique des politiques de tous les pays, de tous les gouvernements, de toutes les organisations devra être faite le moment venu. Il sera aussi vital de mieux comprendre les mécanismes de passage des virus de l’animal à l’homme et les raisons du retard initial de détection et d’information, de la sous-estimation de l’épidémie au début, des contradictions nombreuses entre scientifiques et médecins par la suite. Il faudra également comprendre les raisons pour lesquelles les avertissements de la CIA ou de Bill Gates n’ont pas été entendus. Enfin, il faudra examiner les raisons idéologiques, économiques, industrielles de l’impréparation de la plupart des pays, mis à part la Corée du Sud, Taïwan, Hong Kong, Singapour, et l’Allemagne.
Lors du règlement de la crise financière de 2008-2009, la réponse internationale n’avait-elle pas été davantage coordonnée ?
J.-P. R. : En 2008, alors président de l’Union européenne, Nicolas Sarkozy avait pris l’initiative avec les présidents Bush puis Obama d’organiser une réponse mondiale, économique et politique, via le G20. Celle-ci avait vu une coopération à trois niveaux : entre les leaders, les institutions financières et les acteurs économiques. Aujourd’hui, les États-Unis, l’Europe et la Chine sont les mieux placés pour mobiliser les efforts financiers, humains, militaires, alimentaires et médicaux nécessaires à la réponse globale, à condition qu’ils travaillent ensemble et qu’ils s’ouvrent aux autres acteurs du développement de l’Afrique. Et le G20 est l’instance la plus appropriée pour assurer la coordination internationale. Mais, dans les faits, les États-Unis sont dans la logique de « l’America alone ». Ils cherchent à rester la première puissance du monde sans assurer la responsabilité de leadership qui en découle. La Chine est freinée dans ses initiatives par sa tension et sa compétition avec les Etats-Unis. L’Europe, meurtrie et paralysée par ses divisions internes, est impuissante à exercer le moindre effet d’entraînement. Donc, les Etats, repliés sur eux-mêmes, sont entrés dans une logique de guerre nationale. En Europe et en Asie, on prépare déjà le déconfinement et l’après-crise. Mais on ne la pense pas assez au niveau mondial où il n’y aura pas de leadership sans générosité. Tant qu’un continent sera malade, les échanges ne reprendront que partiellement. On risque de voir cette fragilité s’exprimer dans le cas de l’Afrique, dans et au-delà de la crise sanitaire, notamment sur les approvisionnements en riz, alors que la dépendance du continent est forte par rapport à cette denrée largement importée. Trois organisations internationales, l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) et l’Organisation mondiale du commerce (OMC) viennent d’ailleurs de tirer la sonnette d’alarme sur la tragédie annoncée.
Ces perturbations des chaînes d’approvisionnement montrent-elles, selon vous, que les partisans d’une mondialisation à tout va se sont trompés ?
H. V. : En effet, les partisans, les acteurs de la globalisation sino-américaine financiarisée et dérégulée des quarante dernières années ont été trop loin. Trop de décisions de mondialisation industrielle ont été prises sur la seule base de l’opportunisme salariale. La dépendance extrême que cela a entraînée pour un pays comme la France par rapport à des fournisseurs extérieurs (Chine, Inde) a été sous-estimée ou considérée comme négligeable. Notons que l’Allemagne, qui a su garder des cultures industrielles, y compris chimiques, n’a pas fait cette erreur. Ce sera à corriger. Mais relocalisation signifie réindustrialisation : cela ne se fait pas du jour au lendemain, surtout en France, pays ravagé par la croyance des « entreprises sans usines ». Il faudra fixer des critères, des seuils, des taux, et élaborer une feuille de route.
«La tension entre Chine et Etats-Unis va marquer les quinze prochaines années, même si Donald Trump n’est pas reconduit dans ses fonctions fin 2020.» Jean-Pierre Raffarin
Comment l’Europe doit-elle se positionner, alors que les États-Unis ont fait le choix de la confrontation avec la Chine ?
J.-P. R. : Le coronavirus et son contexte morbide renforcent la tension du duopole sino-américain, déjà engagé dans une compétition commerciale, technologique et politique. Cela entraîne une secousse de l’économie chinoise, et plus d’incertitudes du côté américain. Et comme la réponse chinoise est perçue aux États-Unis comme une humiliation, ces derniers vont vouloir en retour lui en faire payer le prix. Cette tension va marquer les quinze prochaines années même si Donald Trump n’est pas reconduit dans ses fonctions fin 2020. Le positionnement contre la Chine obtient un consensus fort au sein du Congrès. Dans ce contexte, on voit partout les logiques de propagande se développer, c’est contre-productif ! L’Europe devra garder une position d’équilibre, parler à tout le monde et avoir une coopération aussi bien avec les États-Unis que la Chine. C’est un héritage de notre vision gaullienne et la seule manière d’exister face à ces deux grandes puissances, à condition de jouer davantage l’unité européenne. L’UE ne pourra sortir de cette guerre de la division sans retrouver une unité de vue et d’actions. La Chine défend ses intérêts depuis longtemps, ce n’est pas une surprise. Elle recherche la coopération avec l’Europe. Le fait nouveau est que les Etats-Unis expriment depuis plusieurs années une certaine hostilité vis-à-vis de l’Europe. Et le recours plus fréquent, depuis Barack Obama, à l’extraterritorialité des lois américaines nuit à nos intérêts dans le monde. Les sujets de tensions sont nombreux : accords de Paris, Iran, Brexit, Otan, Syrie… Cela nécessite un réveil européen pour promouvoir notre modèle politique et économique basé notamment sur une croissance verte. Nous n’avons pas en tout point les mêmes valeurs que les États-Unis, notamment notre attachement à la protection de la planète. On en revient à une question du leadership. Emmanuel Macron possède les atouts dans son jeu, mais il n’y a pas de leadership possible sans partager cette responsabilité avec l’Allemagne avec laquelle l’Elysée doit renforcer sa concertation et le travail conjoint. Ensuite, le couple franco-allemand devra agréger des dynamiques dans les autres pays membres, au nord, au sud et à l’est de l’Europe.
«L’Europe a cru, plus naïvement que d’autres, que la mondialisation était “win-win”. Elle a du mal à réaliser qu’elle doit devenir une puissance capable de se faire respecter.» Hubert Védrine
H. V. : Les États-Unis essayent en effet maintenant d’enrayer la montée de la Chine vers l’hégémonie. C’est un changement radical de politique par rapport aux dernières décennies. Et cela a un impact sur le monde entier, notamment sur l’Europe. On sait que l’Europe a cru, plus naïvement que d’autres, que la mondialisation était « win-win ». Elle a du mal à réaliser qu’elle doit devenir une puissance capable de se faire respecter. Nous devons le faire par rapport aux Etats-Unis, avec lesquels nous sommes alliés mais sur lesquels nous ne devons pas nous aligner, d’autant que leur politique de sanctions unilatérales est inique. Mais nous devons le faire aussi bien par rapport à la Chine : il faut rechercher des relations équilibrées, et donc faire en sorte que la Chine n’abuse pas de sa puissance nouvelle. Tout cela dépend de nous, et de notre volonté. Il faut que l’Europe arrive à se faire respecter des uns et des autres, qu’elle n’ait pas à subir, ni à choisir, et qu’elle affirme ses positions. Là aussi, cela suppose une vraie volonté stratégique, militaire, industrielle, technologique, etc. Comme le disait le Président Mao, nous devons compter sur nos propres forces !
Quels sont les périmètres de souveraineté à sauvegarder ?
J.-P. R. : Nous ne devons pas choisir entre la souveraineté et la coopération, il faut les deux. Oui à la souveraineté, mais la pandémie montre aussi l’interdépendance mondiale, même si certains feignent de découvrir que la Chine est la première économie du monde en parité de pouvoir d’achat depuis 2014. Oui, il sera nécessaire de renforcer nos périmètres de sauvegarde en choisissant nos secteurs stratégiques dans la production médicale, la sécurité alimentaire et la défense… Cela nous permettra de relocaliser une part de souveraineté à condition de bien la définir. Une réflexion nationale du type de celles que menait autrefois le commissariat général au Plan sera nécessaire pour définir le périmètre de notre souveraineté. Un secteur comme l’acier, par exemple, mériterait d’être ajoutée à ce périmètre de sauvegarde. Il est essentiel pour notre aéronautique. Il faudra aussi faire évoluer les lois de l’OMC et soumettre ce périmètre de sauvegarde à la régulation internationale. Il faudra enfin inventer une nouvelle forme de solidarité internationale. Par exemple, quand un pays est dépendant commercialement d’un autre, il devrait y avoir des clauses pour obtenir un soutien prioritaire en temps de crise.
H. V. : Je suis tout à fait d’accord. Il faut non seulement faire évoluer mais aussi corriger les lois de l’OMC. Tout se tient. Délocaliser, cela veut dire réindustrialiser : quoi, comment et à quel rythme ? Il faudra se prononcer. Et l’impératif de la reconquête de la souveraineté nous obligera à redéfinir plus clairement ce qui est stratégique ou pas d’un point de vue national ou européen.
Pensez-vous aussi que l’Europe et la France doivent faire le pari d’une économie verte ?
H. V. : Évidemment ! Ne pas intensifier la transition vers une économie verte, ce que j’appelle « l’écologisation », serait un pari très dangereux. Il est évident que ce sont les déboisements inconsidérés, et l’extension de l’agro-industrie et de l’urbanisation qui ont « déconfiné » les virus ! Il ne s’agit pas de passer du jour au lendemain à une économie complètement écologique, bien sûr, mais d’avancer dans ce sens, dans l’industrie, dans l’agriculture, dans les transports, dans la construction, etc. Et par conséquent, il faut tout faire pour que Mme Von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, ne renonce pas à son Green Deal, bien au contraire. Ce n’est pas antiéconomique. De toute façon, l’économie de demain et l’écologisation sont destinées à se fondre.
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La réflexion pour l’après est engagée. Déjà, plusieurs thèses se confrontent. Certains pensent le changement de notre modèle. D’autres, comme Luc Ferry, rappellent avec sagesse que certaines des raisons des choix précédents persisteront, et que par exemple il ne sera pas si simple de relocaliser notre industrie.
Cependant, les secousses vont être fortes et nous serons, sur bien des sujets, bouleversés.
Sur le plan politique d’abord. Les décisions à prendre seront impopulaires : restrictions de nos libertés, appauvrissement général, fiscalité, restructurations des entreprises, financement des services publics, fragilisation des structures de loisirs (vacances, culture, sports,) …
Le pouvoir devra avoir recours à des initiatives permettant d’une part de relégitimer l’action publique (La Vème République a beaucoup de ressources) et, d’autre part, de fixer un terme à la période de « Renaissance ». Ce qui fait revenir des idées comme le conseil de la résistance (CNR) ou le gouvernement de salut public (pour une durée déterminée). Jean-Pierre Chevènement a ouvert la voie.
Sur le fond des choses quatre bouleversements seront en tout état de cause nécessaires :
- La nouvelle donne environnementale et la protection de la planète,
- Le nouvel équilibre villes-campagne et la nouvelle décentralisation,
- La révolution digitale et notre nouvelle mobilité,
- Le nouveau partage entre souveraineté et coopération internationale.
Sur ce dernier point, il faudra trouver les moyens de protéger notre « secteur industriel sauvegardé » et de rendre compatible protection et ouverture.
Sur le plan social, l’essentiel sera d’échapper à la spirale pauvreté-violence. L’augmentation de la pauvreté dans le monde amènera des troubles difficiles à gérer au-delà même des seuls effets migratoires.
Les amortisseurs sociaux devront fonctionner à fond. Ce doit être notre première priorité.
Santé, École et PME seront les structures de la stabilisation. Le dialogue social devra se rapprocher du terrain, notamment par un rôle renforcé des territoires et des branches professionnelles. La gestion et la responsabilité de l’emploi pourront être décentralisées.
L’accélération des pratiques digitales pendant le confinement changera nos comportements sociaux. Il faudra veiller à ce que la déshumanisation du lien ne soit pas une cause supplémentaire de pauvreté et, pour cela, nous devrons être très attentifs au monde associatif et caritatif. Les progrès de l’intégration des femmes et des jeunes dans la décision économique et sociale seront essentiels.
Sur le plan économique, la question de la dette sera dominante tant que l’Europe hésitera à créer ses Eurobonds ou à neutraliser l’effet explosif du surendettement. La querelle des pays riches face aux endettés n’a guère de sens. Les riches auront, comme les autres, des dépenses à assumer qui dépasseront largement leurs richesses tandis que la césure de l’Europe ne peut que conduire au populisme et à la dislocation de l’Europe. C’est être perdant/perdant. Les investissements étrangers en Europe seront sans doute davantage les bienvenus, mais dans le respect de certaines règles.
Toutefois, l’essentiel durant la nécessaire période d’efforts et de mobilisation devrait être de trouver dans la nouvelle donne des sources d’économies face à la prévisible explosion des dépenses dues aux « promesses de la crise ». On peut penser au télé travail, à l’enseignement à distance, à la vidéo surveillance, aux économies d’énergie, à la télé médecine, au ralentissement de la mobilité, à la sobriété événementielle (JO), à la digitalisation des formalités administratives, à la gestion des parcs immobiliers. Les exigences de la dépense imposent une culture des économies partout où cela est possible.
Sur le plan international. Trois priorités vont s’imposer : la renaissance de l’Europe, le développement de l’Afrique et la promotion d’un nouveau multilatéralisme.
Le projet européen devra être repensé, un nouvel accord politique sera nécessaire pour fonder une nouvelle ambition. Un nouveau leadership devra se lever, en attendant c’est l’alliance franco-allemande qui doit se sentir en charge du nouvel élan et le faire partager. La France et l’Allemagne devront mettre en commun, de manière fédérale, certains de leurs atouts (la recherche ?). Il faudra élargir la stratégie Airbus. La question reste comment éviter de sortir de l’Histoire face à la tension durable et structurante qui caractérisera, dans les prochaines années, la relation sino-américaine. La seule réponse c’est le réveil européen.
L’Europe ne sera pas heureuse si l’Afrique est malheureuse. Pour cela il faut stopper la spirale dépressive qui va s’emparer de l’Afrique, crise sanitaire, crise économique, crise alimentaire et crise sécuritaire. Un accord avec la Chine et, si possible avec les États Unis, devrait permettre à l’Europe de participer à la stabilisation du continent.
Enfin, un nouveau multilatéralisme est à inventer. L’unilatéralisme n’est évidemment pas la solution pour nous conduire à la Paix. Ce nouveau multilatéralisme disposera d’une meilleure représentativité, il sera plus préventif et plus décentralisé, il s’ouvrira aussi davantage aux sociétés civiles. De nombreuses organisations travaillent sur ce sujet, c’est notamment le cas des « Leaders pour la Paix » qui publieront prochainement leur rapport annuel sur ce sujet.
Aujourd’hui le combat contre le virus bat son plein et encore pour un temps long, mais les secousses qui nous attendent méritent que la réflexion collective assume pour l’avenir ce qui n’a pas bien fonctionné pour le passé immédiat : la prévention.
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La pandémie est mondiale, son éradication ne sera pas que nationale. Le déconfinement des uns impactera les autres.
Dans la crise, les nations ont repris le dessus versus la coopération internationale. Chacun mène sa guerre pourtant contre le même ennemi. Ce repli collectif conduit à une situation étrange : aucun pays ne semble vouloir assumer le leadership mondial face à la crise. La compétition semble l’emporter sur la coopération.
L’exemple de 2008
En 2008, dans un contexte différent mais avec de grands risques, également, le Président de l’Union Européenne, Nicolas Sarkozy avait pris l’initiative, avec les Présidents américains successifs, d’organiser, avec le G20, une coordination économique mondiale. Trois niveaux de coopération étaient intensément et régulièrement sollicités : les leaders, les institutions financières et les acteurs économiques.
Aujourd’hui nous ne pouvons envisager une sortie de crise exclusivement nationale, tant qu’un continent sera malade, le monde sera malade. Les échanges ne reprendront que partiellement, tant que la pandémie mondiale ne sera pas éradiquée mondialement. La coopération internationale scientifique montre l’exemple, la recherche du vaccin est particulièrement collective. C’est l’exception.
Les États Unis sont dans la logique de « l’America alone ». Ils tiennent à leur place au premier rang, mais ils ne souhaitent plus en assumer les responsabilités.
La Chine et la Russie multiplient les actions de solidarité, hautement visibles, mais dans le cadre de leur diplomatie nationale, donc aussi de leurs intérêts.
Les Chinois mesurent bien que leur système politique pose, mondialement, un problème de confiance et donc ils se font plus discrets sur les grands projets internationaux tels que « Les nouvelles routes de la soie ».
L’Europe a, elle, besoin d’y voir clair sur son propre leadership avant d’envisager l’étape mondiale de son influence. Le couple franco-allemand hésite face à ses responsabilités.
L’exemple de 2008 démontre-t-il que les USA et la Chine ont besoin de l’Europe pour construire un front commun? En tout cas dans sa logique gaullienne la France se doit de parler à tout le monde.
Comment organiser, dans ces conditions, un leadership mondial, partagé, capable de coordonner les différents combats nationaux et de conduire à la victoire mondiale? Dans la guerre, on a besoin d’un État major, dans une guerre mondiale, d’un État major mondial.
L’urgence africaine.
La question du leadership mondial est aujourd’hui quelque peu théorique, mais demain elle va devenir urgente avec la contamination de l’Afrique.
Les crises peuvent y être multiples est lourdement meurtrières. La crise sanitaire sera violente, et derrière, la crise alimentaire pourrait se révéler dévastatrice avant la crise économique. On limite aujourd’hui la production de riz mais on sait qu’un habitant sur deux, sur la planète, se nourrit de riz!
Fait rare, trois organisations internationales, la FAO, l’OMS et l’OMC viennent de nous alerter sur cette tragédie annoncée. Ces difficultés ne seront pas résolues par l’exportation en Afrique des tensions entre américains et chinois, ni par les seules annonces européennes d’un prochain « paquet financier » pour le continent.
Trois pour un.
Seule une coopération Europe, Amérique, Chine peut mobiliser les moyens financiers, humains, militaires, alimentaires et médicaux, nécessaires à l’Afrique. Chacun intervient déjà sur le continent mais pour agir plus et mieux, il nous faut une coordination internationale.
Comme l’a dit récemment le Ministre français de l’Europe et des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian : » intervenir en Afrique c’est faire acte de solidarité, mais c’est aussi défendre nos intérêts. » On imagine mal en effet une Europe bien portante avec une Afrique malade.
Le Monde attend qu’une conscience se lève. Il est rare de gagner une guerre sans héros ni leaders.
Le monde est en manque de Leadership.
Jpr
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Dans le Maine et Loire, visitant une PME, fabricant des masques de protection, Emmanuel Macron a appelé à une » indépendance pleine et entière » de la France. Ce n’est pas la première fois que le Président précise ses vues sur la souveraineté. Recevant à l’Elysée le Board du BOAO Forum, le Davos asiatique, le 15 décembre 2017, il avait tenu, face à des responsables chinois de haut niveau, à exprimer sa pensée sur les échanges sino-francais.
Un commerce en partie double
En résumé, sa réflexion est une vision de notre commerce en partie double. La France, disait-il, ne souhaite pas un libre échange global. Nous voulons protéger notre souveraineté et donc protéger les secteurs qui lui sont nécessaires. Ainsi ajoutait-il, en exemple : » La France veut produire des avions et des voitures, elle doit donc protéger la production d’acier. En revanche pour certains autres secteurs, elle peut s’ouvrir ».
Cela paraît être la bonne piste pour établir « une souveraineté maîtrisée ». Il faut alors commencer par définir « les priorités de souveraineté « . Un débat est ici nécessaire, c’est loin d’être simple.
Évidemment aujourd’hui après avoir découvert notre dépendance au paracetamol chinois, tout le monde va inscrire la santé comme première priorité. Il faudrait aussi protéger l’agroalimentaire,…L’idée selon laquelle la France a laissé partir son industrie est très conventionnelle. Certains pensent que c’est trop tard pour la faire revenir. Pas sûr! En tout état de cause, il n’est pas trop tard pour notre agriculture. Alors quel plan de reconquête mettons nous en place…
Une structure type commissariat au plan modernisée pourrait définir le périmètre de protection de nos approvisionnements.
La coopération internationale s’imposera pour bien d’autres secteurs. Certains Français semblent avoir découvert notre dépendance à la Chine à l’occasion de cette tragique crise comme si nous ignorerions que l’économie chinoise est la première du monde, en parité de pouvoir d’achat depuis …2014. Notons que nous avons beaucoup d’autres dépendances vis à vis par exemple de l’Allemagne.
Un secteur sauvegardé
La vérité évidente est que nous sommes tous interdépendants et que seules des règles multilatérales peuvent injecter de la sécurité et de la justice dans nos échanges.
Dans l’esprit de l’OMC, il faut donc autoriser au niveau multilatéral, une part de » secteur sauvagardé » et une part de » secteur de droit commun ». Dans cette vision d’un commerce multilatéral en partie double on pourrait peut être inventer aussi de nouveaux accords s’inspirant de ceux qui existent dans le secteur de La Défense. En cas de difficulté, un Pays peut être engagé selon ces accords à subvenir au besoin de son partenaire. Exemple : si un pays dépend d’un autre à plus de 50% sur un produit et si il doit affronter une crise, son partenaire s’engage à subvenir à ses besoins quant à ce produit.
USA-Chine : la France parle avec tout le monde
Cette réflexion stratégique est d’autant plus nécessaire que la tension sino-américaine structurera les relations internationales de manière durable. Malgré les conflits entre eux nous devrons coopérer avec les deux. Personne dans l’avenir ne pourra se passer de l’Amérique, ni de la Chine.
La France doit parler à tout le monde. L’équilibre entre les deux est l’occasion de revenir à la vision gaullienne de notre indépendance nationale. Notre coopération doit être équilibrée entre l’Europe, l’Amérique et l’Asie et notre souveraineté doit être clairement identifiée par nos priorités.
Souveraineté et coopération
En effet une chose paraît certaine aujourd’hui, on ne peut choisir entre Souveraineté et Coopération. Les deux sont nécessaires. Tout peuple a, à la fois, besoin d’être nationalement protégé mais doit aussi internationalement coopérer. Par exemple : souveraineté pour l’usage des médicaments, la coopération pour la recherche du nouveau vaccin. Ce ne peut être l’un ou l’autre mais l’un et l’autre : Souveraineté et Coopération, États Unis et Chine.
Jpr
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