Je vous présente ici quelques réflexions avant l’annonce prochaine d’un plan de relance de l’économie française. Il s’agit d’une réflexion qui se veut globale. D’autres textes suivront.
La crise selon la définition qu’en donne le « Grand Larousse illustré » est un
« changement rapide qui se produit au cours d’une maladie et qui est presque toujours de bonne augure et présage la guérison ». La crise dépasse donc la dialectique optimisme-pessimisme car elle signifie à la fois un présent difficile, rude mais aussi généralement un avenir meilleur en gestation, dont on perçoit les prémices. La crise est une période particulière : le choc est survenu même si son ampleur et sa durée sont incertaines, il devient alors possible d’établir un diagnostic et d’envisager le futur. C’est précisément ce à quoi je voudrais m’employer.
La crise que nous connaissons est singulière. Elle est totalement déconnectée des traditionnelles évolutions cycliques de nos économies alternant phases d’expansion et de ralentissement. Elle est d’une nature radicalement différente de la crise de 1929. En effet, en 1929 l’Amérique a dû affronter une crise nourrie par la surproduction et la sous-consommation tandis qu’aujourd’hui les Etats-Unis subissent une crise de sous-production et de surconsommation.
Toutefois, par ses malheurs la crise actuelle ressemble à celle de 1929, c’est pour cela qu’elle peut être fondatrice. En effet, la crise financière s’est propagée à l’économie réelle. Le chiffre le plus symbolique est sans doute celui des 200 000 emplois supprimés à Wall Street depuis le début de la crise. Les perspectives françaises sont aussi bien sombres : hausse du chômage de 7,2 à 8,5%, multiplication des faillites (60 000 PME en 2009 !), baisse du prix de l’immobilier de 15% …. Aussi, la responsabilité et le rôle du politique sont engagés.
Le politique n’est pas innocent de la crise que nous traversons. Permettre à des électeurs américains non solvables de devenir propriétaires, c’était objectivement une trop belle promesse électorale. Le politique a souvent davantage cherché à accompagner le surendettement qu’à le freiner. Il serait donc mal venu et un brin populiste d’imputer aux seuls banquiers la responsabilité de la situation que nous connaissons. La ligne « déréglementation maximale et Etat minimal » s’est imposée avec l’accord tacite ou explicite du politique. En revanche, il faut saluer la grande réactivité des politiques, particulièrement celle du Président français, Président de l’Union européenne, qui ont immédiatement renoncé à certains dogmes de l’orthodoxie financière pour éviter que la crise ne se transforme en cataclysme. La force du politique aura été aussi de proposer une grande ambition : la refonte du capitalisme qui comporte une part d’utopie mais permet de réfléchir à une nouvelle gouvernance économique mondiale et d’engager des ripostes concertées.
Cette crise amorce donc un retour du politique, sommé de produire du sens, de susciter de nouvelles espérances. L’élection de Barack Obama en est la manifestation la plus éclatante. Le « yes we can » fait écho au « ensemble tout devient possible ». Mais ce besoin de projet collectif, ce retour au primat absolu de l’intérêt général ne doit pas être le prétexte pour hypertrophier le périmètre d’action de l’Etat, surtout dans notre contexte français de révision générale des politiques publiques. D’accord pour une meilleure régulation, oui aux garanties bancaires, à un nouveau mix des normes comptables, au contrôle des agences de notation, à la transparence des fonds souverains. Mais non aux nationalisations, l’intervention de l’Etat doit conserver un caractère stratégique et exceptionnel, comme ce fut le cas pour Alsthom en 2004. Le tout politique ne doit pas se confondre avec le tout étatique. Le secteur privé assume aussi une part d’intérêt général. Le retour à la « religion du politique » appellerait une réaction ressemblant à une certaines « laïcité économique ».
Pour affronter la crise économique, la relance est nécessaire. Elle est d’autant plus urgente que la crise se répand à la vitesse de l’image sur toute la planète. Entre la crise de Washington et les licenciements à Châtellerault, il n’y a que quelques semaines. Chaque gouvernement prépare son propre plan. La condition de l’efficacité est bien entendu que cette relance soit concertée et coordonnée. Dans ce domaine, d’énormes progrès ont été faits, souvent à l’initiative de la France. Au niveau européen, une gouvernance quadripartite Présidence – Commission- Eurogroupe-BCE s’impose. Toutefois, la situation des finances publiques et l’ampleur de la dette nous contraignent impérativement à maitriser les dépenses, même si le désendettement du secteur privé nous laisse quelques marges. Il devient donc possible d’investir pour des projets qui procureraient des services nouveaux aux générations futures mais aussi du travail aux générations d’aujourd’hui. Une politique de grands projets est nécessaire. Il faudrait dès à présent identifier et sélectionner en Europe mais aussi en France, des projets pertinents qui accompagneraient et dynamiseraient la relance.
Quels en seraient les critères ? Tout d’abord apporter du mieux vivre à la prochaine génération, seule légitimité d’une dette nouvelle. Ensuite, le projet doit être globalement conforme à la fois au Grenelle de l’Environnement et la stratégie de Lisbonne. Son financement peut être métissé, à la fois public et privé, sa dimension doit aussi être régionale. Les infrastructures de transport, les équipements éducatifs et de recherche, le logement à haute qualité environnementale, les projets de véhicules électriques, l’économie numérique, l’indépendance énergétique, les investissements touristiques pourraient être les secteurs privilégiés par de tels projets.
La promotion du capital développement, le partenariat entre fonds souverains, l’amélioration du haut de bilan des PME sont aussi des urgences pour notre prochain plan de relance.
La grande question, à la fois technique et politique, sera celle de la légitimité des financements. L’Etat et tous ceux qui bénéficieront des fonds publics doivent se préparer à justifier leur choix en matière de financement, pour les engagements comme pour les refus. En se faisant l’ardent défenseur de nouvelles régulations, l’Etat doit s’attendre aussi à être évalué, tout comme les collectivités territoriales qui s’engagent dans la relance.
Aujourd’hui, dans les turbulences, il nous faut une pensée pour guider notre action. Quatre visions principales de la mondialisation existent. Je voudrais en présenter une cinquième.
La première est celle que je qualifierais d’opti-pessimisme d’Edgar Morin. C’est le scénario de « la communauté de destin » qu’a connu l’Europe après les extrêmes hontes et terribles horreurs de la première moitié du XXème siècle. C’est la pensée complexe ou paradoxale : « plus le risque s’accroît, plus la chance devient possible ». L’espoir né dans l’annonce de la catastrophe. C’est un peu un chantage au destin. C’est un pari trop risqué : le sursaut est trop incertain.
La deuxième est celle de la globalisation politique, défendue un temps par George Bush. Il s’agit de généraliser dans le monde le modèle démocratique occidental. Les limites de ce projet sont avérées : clivages entre sunnites et chiites en Iraq, victoire électorale du Hamas dans les Territoires palestiniens, désuétude du « Projet de Grand Moyen-Orient », incompréhensions chinoises….
Le troisième scénario est celui de « la mondialisation métissée ». C’est à la fois le projet moderne de J.C. Guillebaud et le projet historique de la société des nations. C’est la réponse à Samuel Huntington et à son choc des civilisations : les cultures se parlent, s’inspirent, se fertilisent au sein d’une société mondiale de plus en plus métissée. C’est un projet qui s’apparente au multilatéralisme. ONU, OMC, Kyoto, FMI, …C’est la paix kantienne par la règle de droit internationale. Ce scénario reposant uniquement sur le multilatéral et qui élude la question du rapport de force me parait utopique.
Quatrième piste celle de «la compétition continentale ». C’est la pensée développée par Emmanuel Todd. Le continent serait l’échelon pertinent : assez vaste pour être un marché dynamique et suffisamment étroit pour protéger les solidarités internes. C’est le scénario du protectionnisme continental, celui-là même auquel s’est opposé le G20 dans son soutien apporté au libre échange. C’est, en fait, un retour au tout bilatéral, continental.
Je privilégie le scénario que je qualifierais de «planète des diversités » à la fois le singulier et le pluriel, à la fois le multilatéral et la bilatéral. La valeur de ce début de XXème siècle, c’est la diversité. Mais avec la diversité apparait le risque de fragmentation, de balkanisation, de « narcissisme des petites différences ». Il faut donc réfléchir à l’équilibre entre respect de la diversité et unité. Ma vision est articulée autour de quatre fondamentaux : le respect des nations (le retour du politique), la solidarité continentale (l’exigence de l’Europe), l’équilibre intercontinental (Europe- Chine- Etats-Unis), la conscience planétaire (post-Kyoto). Parce qu’elle est « complexe », cette perspective est ouverte.
Cette « planète de la diversité » a vocation à être promue par l’humanisme européen fondé lui-même sur le respect, l’équilibre et le dépassement grâce auquel la personne humaine s’élève par des projets qui la dépassent.
La crise locale ne pourra se résoudre sans une stratégie globale.
Au fond, dans la crise, n’abandonnons pas la pensée. E. Orsenna constatant que dans les nouvelles villes chinoises on plantait des arbres déjà grands, répond à la question « Qu’est ce que le futur ? Un pays où les arbres sont déjà grands ». La culture européenne, l’humanisme français, parce qu’ils sont déjà grands appartiennent à la nécessaire pensée du futur.
jpr
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